Une votation sur la vision du monde


Ce qui fut dans un premier temps un projet de loi du Conseil fédéral largement accepté politiquement s’est transformé de manière relativement inattendue en un vote sur différentes visions du monde. Bien qu’aucun parti ne nie le changement climatique, trois interprétations sur la manière d’y faire face se sont affrontées. La vision du mondeDu côté... Lire la suite »

Article
von swisscleantech
28.06.2021
Abstract
Le fait que la votation sur la loi sur le CO2 ait abouti à un NON à 51,3 % alors qu’une large partie de la population se déclare favorable à la protection du climat donne à swisscleantech l’occasion de revenir plus en détail sur cette votation.

Ce qui fut dans un premier temps un projet de loi du Conseil fédéral largement accepté politiquement s’est transformé de manière relativement inattendue en un vote sur différentes visions du monde. Bien qu’aucun parti ne nie le changement climatique, trois interprétations sur la manière d’y faire face se sont affrontées.

La vision du monde
Du côté des partisans, une perspective globale prévaut. Ils considèrent que la Suisse est un acteur important dans les efforts déployés au niveau mondial pour la protection du climat. La votation en Suisse était vue comme le tout premier référendum jamais organisé sur la protection du climat et comme un signal adressé aux autres pays. Le monde devait voir que la Suisse voulait apporter sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique et était prête, à son échelle, à jouer un rôle de précurseur.

La perspective suisse
Le camp du non était divisé en deux groupes dont certains des arguments se recoupaient. En particulier, l’UDC défendait, comme sur d’autres sujets politiques, une vision essentiellement suisse. Dans cette approche, la Suisse est un très petit pays, précurseur solitaire dans un monde qui ne se soucie guère du changement climatique. « Pourquoi devrions-nous faire quelque chose pour le climat alors que le monde entier ne fait rien ? », fut un argument souvent entendu. Dans cette perspective, la protection du climat en Suisse apparaît comme un investissement inutile dans une catastrophe qui ne peut être évitée ou qui n’est peut-être pas aussi grave que la science le prétend.

La vision d’ordre politique
Au sein du PLR, les débats sont violents sur la question de savoir si la Suisse doit ou non s’engager davantage pour la protection du climat. Même si certains représentants du PLR semblent adopter la vision suisse, c’est plutôt sur la question de savoir si la loi sur le CO2 constitue une intervention non autorisée de l’État que la discussion au sein de ce parti est vive. Les milieux économiques et critiques de l’État au sein du PLR pensent que les interventions de l’État sont fondamentalement néfastes et que le marché doit jouer le plus librement possible. Pour cette école de pensée néolibérale, fixer des prix pour des biens environnementaux est un péché originel. Pour d’autres représentants du PLR moins stricts en matière d’interventions de l’État, les prix incitatifs sont acceptables, mais ils jugent inacceptable qu’une partie des recettes fassent l’objet d’une affectation partielle, dont la gestion serait confiée à l’État. Ce groupe rejette en particulier l’idée que soit créé un fonds pour le climat, alimenté par une taxe sur les billets d’avion générant des recettes annuelles de l’ordre d’un milliard de francs, dont l’utilisation ne serait pas formulée de manière très précise.

La question du coût était au cœur des discussions – comme c’est souvent le cas en Suisse. Mais les points de vue différaient sur ce que l’on entendait par coût. Les deux clans opéraient avec des chiffres qui représentaient bien les dépenses des ménages dans différents cas particuliers, mais qui n’étaient pas très concrets pour le grand public. La question du coût du réchauffement climatique pour la Suisse a été quant à elle totalement éludée.

La question « que signifie la taxe sur le CO2 pour moi personnellement ? » n’a pas été abordée par la campagne des partisans de la loi, bien que des offres aient été disponibles (par exemple le calculateur du parti des Jeunes vert-libéraux). D’autres éléments de réflexion comme les résultats de l’étude de coûts de swisscleantech n’ont même pas été publiés pour des raisons de tactique politique.

Dans la perspective des coûts, on peut comprendre le rejet de la loi par la génération des moins de 30 ans, qui a été supérieur à la moyenne. La taxe sur les billets d’avions a probablement lourdement pesé dans le vote des jeunes après une année de pandémie et ses restrictions en matière de voyages.

La question émotionnelle
L’état émotionnel de la société et l’activation du ressort émotionnel dans le cadre de différentes campagnes sont également importants pour comprendre le résultat de la votation.

La campagne des partisans du oui a été d’emblée confrontée à un problème d’argumentation fondamental : dans la perspective suisse, l’argumentation « la protection du climat coûte cher – la Suisse est petite – personne ne fait rien – donc les coûts sont inutiles » est tout à fait cohérente.

Pour la campagne en faveur du oui, la vision globale signifiait : si nous ne parvenons pas à nous entendre pour mettre en place une politique climatique globale rigoureuse, dans bien des cas il vaut mieux ne rien faire.

Le dilemme
Dans la vision globale, la protection du climat en Suisse est une contribution pour surmonter la crise climatique. Mais cet argument n’a aucun impact dans une perspective suisse.

La deuxième possibilité pour la campagne en faveur du oui était de prouver que la protection du climat apportait dans son ensemble un profit économique. Le camp du oui s’est exprimé en ce sens, mais en apporter la preuve supposait de vastes batailles de chiffres, avec beaucoup d’hypothèses. Les opposants se présentaient au contraire avec des arguments-chocs, parfois faux en ce qui concerne les coûts. Il y avait donc un déséquilibre en termes d’émotivité.

Confrontés à des chiffes sans preuves des deux côtés, il y avait un risque que chez de nombreux électeurs, la peur d’une perte financière et de bien-être pèsent plus que les promesses d’un avenir radieux. Cette situation devenait encore plus difficile si l’on faisait un rapprochement entre des coûts à court terme, parfois fictifs, et les coûts à long terme du changement climatique. Dans ce genre de situation, les gens ont tendance à considérer les coûts à long terme comme nettement moins importants que les coûts à court terme.

Le vote n’a pas non plus été facilité par le fait que le paquet législatif était très complexe et le résultat d’un équilibre délicat. On ne pouvait le présenter que comme un compromis. Et les compromis suscitent rarement l’émotion.

De ce fait, il était facile pour les opposants d’émouvoir, alors que les partisans n’auraient pu jouer sur l’émotion qu’au travers d’images.

Ce point de départ de la campagne référendaire n’a malheureusement pas été suffisamment discuté et analysé avant que celle-ci ne démarre. D’une manière générale, les responsables de la campagne sont partis du principe qu’un projet de loi émanant des autorités devait être défendu dans le cadre d’une campagne calme et raisonnée. On a donc évoqué des sujets qui jouaient moins sur l’émotion et l’on a essayé dans l’ensemble de réduire la tension émotionnelle. Ce fut un mauvais calcul.

Mauvais timing
La campagne a également été compliquée par le mauvais timing de la votation. La crise du Covid-19 a étouffé dans l’œuf une grande partie de la dynamique en faveur de la politique climatique. Le défi que représente la pandémie pour l’économie et les incertitudes de beaucoup de gens concernant leur situation financière ont détourné l’attention des électeurs de la politique climatique. Le fait que le printemps ait été particulièrement humide et froid n’a pas non plus aidé le projet de loi. On peut comprendre que beaucoup de gens perçoivent moins la menace de crise climatique par temps froid et humide que par temps chaud et sec.

Ce fut une erreur de programmer trois votes liés à l’environnement à la même date. Le DETEC, dit-on, serait parti de l’idée qu’un résultat sans ambiguïté en faveur de la loi sur le CO2 aurait aussi donné un coup de pouce aux deux initiatives sur les pesticides. La dynamique s’est cependant enclenchée dans l’autre sens. Comme l’argument principal contre les deux initiatives concernant l’agriculture était également celui du coût et comme les paysans se sont très fortement mobilisés contre les deux initiatives, le non aux initiatives a emporté avec lui la loi sur le CO2. On peut comprendre que l’on vote trois fois contre une augmentation des coûts. Faire la distinction entre les trois projets soumis au vote nécessitait un peu de volonté et de discernement politique.

Les conséquences pour les votations à venir
La loi sur le CO2 partage le sort d’autres grands projets des autorités. Certains d’entre eux tels que la réforme de l’AVS et des retraites n’ont pas avancé depuis des années. Il convient donc de se demander dans quelle mesure de grands projets politiques sont réellement susceptibles de réunir une majorité. En particulier lorsqu’il s’agit de défis où le temps est compté, la question se pose de savoir s’il est pertinent de ficeler un vaste paquet qui peut avoir de nombreux opposants, lesquels ne sont pas toujours impartiaux.

L’avantage de la loi actuelle sur le CO2 est qu’elle constitue une base bénéficiant d’un large soutien, qui pourra être adaptée progressivement et mise en œuvre par étapes. Pour l’évolution à venir de la politique climatique suisse, il semble que cela soit une voie raisonnable.

De nouvelles votations importantes se profilent cependant déjà l’horizon : l’initiative pour les glaciers sera soumise au vote probablement dans deux ans. Il nous faut donc tirer deux leçons de la votation perdue :

  1. Le débat sur les coûts est inévitable car les opposants veulent de toute façon le lancer. Clarifier l’argument des coûts de manière proactive permettrait d’avoir un élément de référence fiable durant la campagne. Il aurait été utile par exemple de publier des études fiables sur les coûts dans la phase précédant la campagne. Vu les ressources, cela aurait été tout à fait possible.
  2. Dans l’idéal, il faudrait éviter de lancer plusieurs campagnes ou veiller à ce qu’elles soient mieux coordonnées. Bien avant ces campagnes, il faudrait organiser des groupes thématiques et réaliser des analyses pour étudier les arguments qui motivent l’électorat à voter en faveur de la protection du climat. En la matière, les partisans n’ont pas non plus investi suffisamment lors de la dernière campagne.